Par moments, j'ai pensé au Prévert de « L'affaire est dans le sac », le même plaisir à bousculer les conventions. Anthropophagie, inceste, androgynie, habitus de classes, rapports de domination, émergence du snobisme sont passés à la moulinette loufoque du réalisateur sur fond de paysages et de décors tout autant inédits qu'esthétiques, ce avec la complicité d'une galerie de personnages burlesques et caricaturaux. Des prolos qui bouffent du bourgeois (de Calais bien sûr, mais aussi de Roubaix et de Tourcoing) sans se soucier plus que ça des flics et des curés qui rivalisent dans le ridicule et l'insignifiance. C'est sûr qu'ici on ne fait pas dans la dentelle (de Calais encore).
Cependant, les images (jeu du net et du flou) et le son souvent trivial apparaissent très travaillés comme dans tous les films de Dumont. On n'est pas dans le n'importe quoi, loin de là.
Les comédiens professionnels, de leur côté, ont pris de gros risques en jouant ces caricatures. Ils le font manifestement de bon cœur sans pourtant oublier d'ajouter quelques touches plus subtiles de ci de là. Leur convocation tient, à mon avis, à la nécessité de représenter une classe elle même toujours en représentation pour elle même et face aux autres classes sociales. Je ne pense pas que cela aurait été possible avec des non professionnels.
Ceux ci apportent leur part qui ne se résume pas à leur apparence physique et à leur accent. Face à la caméra, leurs regards apparaissent (surtout les pêcheurs) d'une grande intensité avec un aspect dramatique qui effleure sous le comique de la situation. Si Bruno Dumont semble avoir changé de registre, évitant le piège de la répétition sans fin, il ne s'est pas renié pour autant.